Tristan Garcia-Fons
1er 2009, par www.appeldesappels.org // Qu’est ce qui ne va pas dans le soin psychique et la santé mentale ?
Les CMPP, comme beaucoup d’autres structures médico-sociales et de soins, sont actuellement atteints dans ce qui fait leur originalité et leur utilité : l’accueil en consultation de l’enfant ou de l’adolescent et de sa famille par une équipe plurielle qui cherche à adapter la prise en charge au cas par cas. Ils sont exposés aux retraits (après ceux des RASED dans les écoles) de postes d’enseignants spécialisés (psychopédagogues), de psychologues et de directeurs pédagogiques mis à disposition par l’Education Nationale, complètement intégrés dans l’équipe du CMPP pour contribuer à aider les enfants en difficulté à l’école. Ils sont confrontés à la mise en cause de la principale convention de travail des personnels (la convention 66), à la suppression de la prise en charge des frais de transports (particulièrement problématique pour les CMPP en zones rurales) et au risque d’une remise en question de la prise en charge des soins à 100 % pour tous (les personnes bénéficiant de l’AMD en particulier). Comme dans de nombreux secteurs, la fureur gestionnaire bat son plein, qui vise non seulement la réduction des « coûts sociaux », mais cherche à imposer les dogmes de l’entreprise privée au travers notamment de l’évaluation et plus précisément de la « démarche qualité », cette forme de management né chez Toyota dans les années 60 pour produire des voitures « zéro défaut ». Toutes les pratiques doivent désormais entrer dans des protocoles et rien ne doit échapper à cette entreprise de normalisation, à commencer par l’enfant lui-même. C’est cette entreprise de normalisation qui vient à l’encontre de la manière dont nous envisageons notre travail en CMPP dont je vous parlerai principalement.
Nous recevons en CMPP toujours plus de demandes des enfants et de leurs familles qui cherchent de l’aide et un lieu pour parler de leurs inquiétudes, de leurs souffrances. Nous essayons de prendre le temps de comprendre et d’élaborer des projets personnalisés avec eux. Nous essayons aussi de prendre le temps d’échanger avec les enseignants des écoles et collèges, ou avec les travailleurs sociaux qui trouvent au CMPP un lieu pour parler et réfléchir à ce qu’ils vivent sur le terrain. Mais, dans le même temps, de plus en plus, la pression s’exerce sur nous pour que nous apportions notre caution, notre « expertise » comme on dit aujourd’hui, au processus de diagnostic-orientation ou encore de classification et d’aiguillage des enfants considérés comme dysfonctionnant. Avec les politiques et les conceptions qui découlent des nombreuses lois édictées ces dernières années (et en particulier la nouvelle loi de février 2005 sur les handicapés) nous sommes entrés dans l’ère des bilans, de la multiplication des catégories et du diagnostic généralisé qui dérive vers ce que j’appelle « l’extension du domaine du handicap ». Les enfants arrivent désormais, de plus en plus souvent, dans nos consultations déjà étiquetés « dyslexiques », « dysphasiques », « dyspraxiques », « hyperactifs » ou encore « intellectuellement précoces » (pour ne citer que quelques catégories à la mode) avec, déjà, des prescriptions de rééducations de toutes sortes ou des projets d’orientation déjà ficelés. L’enfant agité ou qui a du mal à apprendre, celui qui dérange ou déroge à la règle, on ne cherchera plus à comprendre le sens de ce qu’il manifeste qui peut, selon les cas, être par exemple le signe d’une peur, d’une difficulté à se situer dans le groupe ou encore d’une souffrance dépressive, toujours liés à une histoire et un environnement singuliers. On voudrait aujourd’hui s’en tenir au seul comportement, dans sa face la plus visible, et en fait la plus faussement évidente, qu’il faut rectifier, assister ou compenser. Très vite, cet enfant, jugé perturbé et perturbant, troublé et troublant, imaginé comme un petit animal tantôt victime tantôt nuisible, peut être orienté dans une classe spéciale au sein de l’école habituelle (CLIS en primaire ou UPI au collège) ou dans d’autres cas, sous couvert de l’idée consensuelle et généreuse de la scolarisation de tous en milieu habituel, on demandera la présence d’une auxiliaire de vie scolaire pour seconder l’instit. Dans tous ces cas, on ouvrira une demande de dossier à la maison du handicap et l’enfant se trouvera bientôt avec un statut de handicapé. Ses parents pourront recevoir une allocation de compensation (certaines familles aux fins de mois difficiles auront bien du mal à résister aux sirènes des 160 euros mensuels ou plus que leur apportera le handicap reconnu de leur enfant). Quoiqu’on puisse dire de la possibilité (théorique) de sortir du champ du handicap il n’est pas si facile de s’extraire de l’identification au statut de handicapé ni d’échapper à des filières qui ne permettent qu’exceptionnellement de rejoindre un cursus scolaire ou de formation habituel.
Finalement, tout enfant hors norme est aujourd’hui un handicapé en puissance dont le destin est déterminé de plus en plus tôt, alors qu’il s’agirait plutôt de prendre le temps de considérer sa situation avec tous les protagonistes concernés (parents, enseignants, enfant ou adolescent, …) pour proposer une prise en charge sans doute mieux adaptée et surtout moins définitive, où chacun pourrait retrouver sa place, sa marge de manœuvre et sa créativité.
mercredi 20 janvier 2010
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